Les Barbares

de MAXIME GORKI
mise en scène PATRICK PINEAU
du 28 février 2003 au 29 mars 2003
Berthier petite salle



avec Gilles Arbona, Frédéric Borie, Hervé Briaux, David Bursztein, Jean-Michel Cannone, Irina Dalle, Eugène Durif, Eric Elmosnino, Pascal Elso, Leïla Ferault, Jérôme Kircher, Laurent Manzoni, Christelle Martin, Mathias Mégard, Philippe Morier-Genoud, Cendrine Orcier, Fabien Orcier, Annie Perret, Patrick Pineau, Julie Pouillon, Marie-Paule Trystram, Nathalie Villeneuve.

Qui connaît Les Barbares aujourd'hui ? Du théâtre de Gorki, on joue surtout Les Bas-fonds. A l'Odéon, Lluis Pasqual a mis en scène Les Estivants en 1994. Les Barbares, en revanche, est une pièce trop peu montée (elle le fut en France au Théâtre Récamier, en 1965). Peut-être est-ce dû au réalisme complexe et dense d'une écriture qui fait songer tantôt à Tchekhov, tantôt au cinéma. La distribution comprend plus de vingt personnages, de tous âges et de tous types sociaux. Tous vont et viennent dans différents plans, à différentes profondeurs, se croisent et parfois disparaissent aussi inexplicablement qu'ils étaient apparus. Dans chacun des quatre actes, l'intrigue ou plutôt les actions multiples se déroulent sans solution de continuité, progressant côte à côte, interférant, divergeant à nouveau, à coups de minuscules rebondissements, déroulant aux yeux du lecteur une fresque grouillante, tournoyante, de la vie quotidienne à Verkhopolié, le genre de petite ville de province où l'on parle sans cesse de partir sans jamais passer à l'acte, où l'on s'épie entre voisins en menant ses petites affaires, où il se passe constamment quelque chose et rien- jusqu'au jour où deux ingénieurs font irruption pour préparer l'arrivée du chemin de fer. On croirait presque du Tchekhov, en effet, à cette différence près que se sont effacés les derniers échos d'un monde ancien dont La Cerisaie ou Les Trois Soeurs annonçaient le crépuscule. Le désœuvrement d'existences cherchant à tromper leur vacuité sous la surveillance obsédante du regard d'autrui ne se détache même plus sur un fond discrètement nostalgique. L'inertie de Verkhopolié va s'ouvrir au monde : "on va enfin pouvoir venir chez nous", s'écrie l'un des habitants. Mais cette ouverture a d'autres effets. Soit que les vérités se disent, soit que les passions se rallument, soit enfin que naissent d'étranges tentations, l'arrivée des ingénieurs étrangers jette une lumière crue- qui ne les épargne pas eux-mêmes - sur les habitudes médiocres nées de l'isolement, sur les petits privilèges locaux, sur toutes les formes d'humiliation et d'asservissement, qu'elles soient politiques, familiales, conjugales, dont se nourrit l'égoïsme de chacun. Sur les idéaux, aussi : sur le bovarysme naïf, sur le romantisme attardé, sur le nietzschéisme vulgaire et mal compris. Car rien ne va plus de soi, et les Barbares sont peut-être partout. Ce théâtre-là, dans son humanité foisonnante, paraît taillé sur mesure pour une compagnie d'acteurs. Ceux de la troupe de l'Odéon avaient déjà songé à l'interpréter. Avec quelques amis, ils se lancent dans l'aventure sous la direction de Patrick Pineau.