Mistrz i Malgorzata [Le Maître et Marguerite]


de MIKHAÏL BOULGAKOV
adaptation, apocryphes, mise en scène et scénographie KRYSTIAN LUPA
du 27 septembre 2003 au 05 octobre 2003
Berthier grande salle



"Les manuscrits ne brûlent pas" : cette phrase, sans doute la plus célèbre de toute la littérature russe du XXème siècle, est prononcée par le diable. Une phrase qui n´est pas de ce monde, porteuse, plus encore que d´un espoir, d´une sorte de foi sereinement insensée : la certitude que quelque chose, dans le travail de l´art, résisterait à toutes les puissances de destruction ici-bas, qu´une certaine vérité, d´ordre spirituel peut-être, resterait invinciblement soustraite aux atteintes de toutes les tentatives de la supprimer ou de l´étouffer - survivant même aux doutes et aux faiblesses du Maître qui la porte. Cette maxime folle, due à un homme qui osa écrire à Staline " je suis UN ÉCRIVAIN MYSTIQUE", figure dans un roman dont on pressentait qu´il croiserait un jour la route de Krystian Lupa. Voilà des années que le metteur en scène polonais approfondit sa réflexion sur le genre romanesque comme forme majeure d´expression d´une crise dont notre époque n´est pas sortie. En témoignent ses créations d´après L´Homme sans qualités, Les Frères Karamazov, Les Somnambules ou Auslöschung (Extinction), dont les trois dernières ont été applaudies à l´Odéon par un public toujours croissant, séduit par la hauteur et l´exigence de sa vision. Le Maître et Marguerite vient tout naturellement s´inscrire dans une telle série, adapté pour 36 comédiens de la troupe du Stary Teatr et quelques décors sobres posés sur un plateau aux limites subtilement imprécises (au Stary, il semblait aussi bien déborder de l´avant-scène que fuir au-delà des coulisses pour se distendre dans la nuit sans horizon qui le cernait de toutes parts). Mais il y a plus : au sein du corpus qui a retenu l´attention de Lupa, le chef-d´œuvre de Boulgakov constitue le texte qui entretient avec la théâtralité les rapports les plus étroits. Car il est le dernier terrain libre d´un homme de théâtre dont la carrière aussi bien que l´œuvre furent brisées par la dictature stalinienne, et qui s´empara de l´espace romanesque pour y disposer à sa guise une scène aux dimensions de sa fantaisie, la seule qui pût éviter à son écriture de sombrer dans le chaos de son temps. Il ne faudrait pas pour autant réduire Le Maître et Marguerite à n´être que le laboratoire ou l´exutoire d´un artiste privé de son public : cette fable onirique et carnavalesque est aussi un examen introspectif dont l´issue n´a rien de triomphal. Pour arracher au néant le manuscrit que le Maître a détruit, il ne faut en effet rien de moins qu´une visite ici-bas de Woland, le "Prince des Ténèbres" en personne, et de son escorte de démons familiers, venus semer à Moscou la terreur et la confusion. Que penser d´un monde ainsi fait que les poètes y brûlent leur œuvre, et que le diable doit s´en mêler pour en assurer le salut ?