Les Palmiers sauvages
d’après le roman de William Faulkner
mise en scène Séverine Chavrier
d’après le roman de William Faulkner
mise en scène Séverine Chavrier
avec Séverine Chavrier, Laurent Papot, Déborah Rouach
« On en sort détruit et fasciné, conquis et ébranlé » − Fabienne Arvers / Les Inrocks
« Vif comme l'enfance, violent comme un orage, un spectacle moderne et intelligent » − Un fauteuil pour l'orchestre
« Le couple formé par Deborah Rouach et Laurent Papot est impressionnant d'énergie et de naturel. (...) Séverine Chavrier démontre une vraie singularité (...) de mixer au plus près humour et tragédie, de concevoir et d'habiter des espaces chaotiques et beaux. » − Philippe Chevilley / Les Echos
«Quand l’homme qui s’appelait Harry fit la connaissance de Charlotte Rittenmeyer, il était interne dans un hôpital de la Nouvelle-Orléans». C’est le jour de son anniversaire. Leur rencontre est la mise à feu d’une bombe, ou plutôt elle en est déjà l’explosion. Il a vingt-sept ans, elle en a moins de vingt-cinq. Harry n’a jamais connu l’amour, s’étant voué corps et âme à ses études ; Charlotte est mariée, a deux petites filles. À sept ans, elle est tombée dans les flammes, elle en porte encore les cicatrices. Pourquoi lui-dit elle cela, à lui, dès la première fois ? Pourquoi cette intimité immédiate qui claque comme un coup de feu ? Est-ce qu’elle-même le sait ? Elle pratique la sculpture parce qu’elle aime faire «des choses qu’on peut toucher, qu’on peut prendre, des choses qui pèsent dans la main, dont on peut regarder l’envers, qui déplacent l’air et qui déplacent l’eau, et si vous les laissez tomber, c’est votre pied qui se brise et non la forme de l’objet». Quelques jours plus tard, Charlotte Rittenmeyer quitte tout au nom de son amour pour Harry ; Harry Wilbourne interrompt son internat de médecine pour s’enfuir avec Charlotte. Ainsi commence – ligne de fuite, fuite en avant, avant-goût de la mort – une course à l’abîme qui va en quelques mois pousser le couple de La Nouvelle-Orléans à Chicago, puis «dans le Wisconsin et à nouveau à Chicago, en Utah et à San Antonio et de nouveau à La Nouvelle-Orléans», d’un chalet au bord d’un lac à une cabane perdue dans les neiges près d’une mine à demi abandonnée, jusqu’à un bungalow au bord de la mer, traversé par le bruissement du vent dans les palmiers sauvages...
La règle des amants : s’attarder quelque part mais ne jamais s’installer, ne jamais renoncer au mouvement perpétuel. La seule chose qui importe, celle à laquelle il faut tout sacrifier, c’est de se tenir ensemble dans l’amour, sans autre demeure. Charlotte et Harry ne veulent rien posséder – rien, à part leur désir dévorant l’un pour l’autre. Pour eux, le lien qui les unit doit se vivre comme un arrachement de chaque instant à tous les pièges de la respectabilité. L’un des dogmes de leur credo passionnel pourrait s’énoncer : il ne faut surtout pas que l’économie domestique... Charlotte se jette sans réserve dans l’aventure ; Harry, lui, se débat avec les démons de la norme. L’amante entraîne l’amant avec elle, à corps perdu, comme en un creuset où se consumer ensemble pour fondre le métal de l’utopie. Harry finira par apprendre (car ce voyage est aussi initiatique) qu’il n’est pour eux pas de retour possible. Et pourtant, en attendant de parvenir au point final, il faut bien vivre – il faut trouver le moyen de fournir ses conditions de subsistance à cette sauvage œuvre-vie qu’est un tel amour, alors même qu’il se veut inconditionnel, aussi absolu que la mort. Mais comment ?
Qu’aime-t-on encore de l’autre quand on attend de l’amour qu’il soit à ce point exclusif ? «Est-ce qu’à force d’aimer l’amour, on ne finit pas par oublier d’aimer l’autre ? Est-ce qu’une passion vécue comme une œuvre d’art n’est pas une entreprise solitaire, vouée à l’échec ?» C’est à la lumière de ces questions que Séverine Chavrier a porté à la scène cette œuvre déchirante où Faulkner dresse un «bilan introspectif et rétrospectif» des rapports entre œuvre et vie, ambition créatrice et désir. Tendant son oreille de musicienne, elle a discerné et réinventé le bruit et la fureur du grand romancier, les différentes strates vocales de ses créatures noyées dans les rumeurs du vent ou de la mer, leurs cris de jouissance nue, leurs murmures enfantins, et jusqu’aux intuitions presque silencieuses où s’ouvre pour chacune d’entre elles, au bord du mystère, «cette possibilité d’être un instant voyant, lucide, écrivain». Créée au Théâtre de Vidy à Lausanne, présentée fin 2014 au Nouveau Théâtre de Montreuil, sa superbe adaptation a séduit le public et la critique.
Certaines scènes de ce spectacle peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes, il est déconseillé aux moins de 16 ans
It’s got to be all honeymoon
“I’ve found it,” she said.
“Found what?”
“An apartment. A studio. Where I can work too.”
“Too?” She shook his head again with that savage obliviousness, she actually hurt him a little; he thought again, There’s a part of her that doesn’t love anybody, anything; and then, a profound and silent lightning-clap – a white glare – ratiocination, instinct, he did not know which: Why, she’s alone. Not lonely, alone. She had a father and then four brothers exactly like him and then she married a man exactly like the four brothers and so she probably never even had a room of her own in all her life and so she has lived all her life in complete solitude and she doesn’t even know it as a child who has never tasted cake doesn’t know what cake is.
“Yes, too. Do you think that twelve hundred dollars will last forever? You live in sin; you cant live on it.”
“I know it. I thought of that before I told you over the phone that night I had twelve hundred dollars. But this is honeymoon; later will be –”
“I know that too.” She grasped his hair again, hurting him again though now he knew she knew she was hurting him. “Listen: it’s got to be all honeymoon, always. Forever and ever, until one of us dies. It can’t be anything else. Either heaven, or hell: no comfortable safe peace- ful purgatory between for you and me to wait in until good behaviour or forbearance or shame or repentance overtakes us.” “So it’s not me you believe in, put trust in; it’s love.” She looked at him. “Not just me; any man.”
“Yes. It’s love. [..]”
William Faulkner : «If I forget thee, Jerusalem [The Wild Palms]»,
in Novels 1936-1940, The Library of America, 1990,
pp. 550-551
Il faut que tout soit lune de miel
«J’en ai trouvé un, dit-elle.
— Un quoi ?
— Un appartement. Un studio où je pourrai aussi travailler.
— Aussi ?»
Elle lui secoua de nouveau la tête avec la même violence et la même inattention, elle lui fit même un peu mal. Il pensa encore Il y a une partie d’elle-même qui n’aime personne, rien ; et puis un éclair profond, silencieux, un éblouissement blanc – raisonnement, instinct, il n’aurait su le dire : C’est cela, elle est seule. Elle ne se sent pas seule, elle l’est. Elle a eu un père, puis quatre frères exactement semblables à lui et puis elle a épousé un homme exactement semblable aux quatre frères et de sa vie elle n’a donc sans doute jamais eu même une chambre à elle et toute sa vie elle a donc vécu dans une solitude complète et elle ne le sait même pas tout comme l’enfant qui n’a jamais mangé de gâteau ne sait pas ce que c’est.
«Oui, aussi. Tu crois que douze cents dollars ça va durer éternellement ? Ce n’est pas parce que tu vis en état de péché que tu peux en vivre.
— Je le sais. J’y ai pensé bien avant le soir où je t’ai dit au téléphone que j’avais douze cents dollars. Mais c’est notre lune de miel. Plus tard, on verra.
— Je sais cela aussi.» Elle lui ressaisit les cheveux et lui fit mal de nouveau, mais il savait maintenant qu’elle savait qu’elle lui faisait mal. «écoute, il faut que tout soit lune de miel. Toujours et à jamais, jusqu’à ce que l’un de nous meure. Il ne peut pas en être autrement. Le paradis ou l’enfer, mais entre les deux, pas de purgatoire confortable, sûr et paisible, où nous attendrions toi et moi d’être rattrapés par la bonne conduite, la patience, la honte ou le repentir.
— Ainsi, ce n’est pas en moi que tu crois, que tu as confiance, c’est en l’amour.» Elle le regarda. «Je ne dis pas moi seulement, mais n’importe quel homme.»
— Oui, c’est en l’amour. [...]
William Faulkner : Les Palmiers sauvages [Si je t’oublie, Jérusalem], tr. fr. Maurice-Edgar Coindreau revue par François Pitavy, Paris, Gallimard, 2001, coll. L’Imaginaire, pp. 103-104
dramaturgie Benjamin Chavrier
scénographie Benjamin Hautin
son Philippe Perrin
lumière David Perez
vidéo Jérôme Vernez
production Théâtre de Vidy, Compagnie La Sérénade interrompue
coproduction Nouveau Théâtre de Montreuil
avec le soutien de la SPEDIDAM, du Ministère de la Culture et de la Communication, du CDN de Besançon Franche-Comté, de Pro Helvetia – Fondation suisse pour la culture
créé le 25 septembre 2014 au Théâtre de Vidy
certaines scènes de ce spectacle peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes, il est déconseillé aux moins de 16 ans