Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, avec Mathias Enard


20 novembre 2012 2012

Salon Roger Blin, Odéon 6e

Rencontre animée par Daniel Loayza.
En partenariat avec Flammarion.


La destinée. Ma destinée! C'est une drôle de chose que la vie - ce mystérieux arrangement d'une logique sans merci pour un dessein futile. Le plus qu'on puisse en espérer, c'est quelque connaissance de soi-même - qui vient trop tard -, une moisson de regrets inextinguibles. J'ai lutté contre la mort. C'est le combat le plus terne qu'on puisse imaginer. Il se déroule dans une grisaille impalpable, sans rien sous les pieds, rien alentour, pas de spectateurs, pas de clameurs, pas de gloire, sans grand désir de victoire, sans grande peur de la défaite, sans beaucoup croire à son droit, encore moins à celui de l'adversaire - dans une atmosphère écœurante de scepticisme tiède. Si telle est la forme de l'ultime sagesse, alors la vie est une plus grande énigme que ne pensent certains d'entre nous.
J'étais à deux doigts de la dernière occasion de me prononcer, et je découvris, déconfit, que probablement je n'aurais rien à dire. C'est pour cela que j'atteste que Kurtz fut un homme remarquable. Il avait quelque chose à dire. Il le dit. Depuis que j'avais moi-même risqué un œil par-dessus le bord, j'ai mieux compris le sens de ce regard fixe, qui ne voyait pas la flamme de la bougie, mais qui était assez ample pour embrasser tout l'univers, assez perçant pour pénétrer tous les cœurs qui battent dans les ténèbres. Il avait résumé - il avait jugé. "L'Horreur !" (p177)



Né en 1972, Mathias Énard a étudié le persan et l’arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il est notamment l’auteur de cinq romans parus chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003), Remonter l’Orénoque (2005), Zone (2008), Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (2010), et Rue des Voleurs (2012).