La Cerisaie

d'ANTON TCHEKHOV
mise en scène GEORGES LAVAUDANT
du 23 janvier 2004 au 28 février 2004
Berthier grande salle



avec Gilles Arbona, Eric Berger, Elise Berthellier, Hervé Briaux, Laurence Cordier, Olivier Cruveiller, Pascal Elso, Aline Le Berre, Philippe Morier-Genoud, Sylvie Orcier, Patrick Pineau, Marie Trystram, et aussi Bernard Vergne, Jean-Marie Boeglin, Bouzid Allam

... Je ne me sentais pas bien, à présent j'ai ressuscité, ma santé s'améliore, et si je ne travaille pas encore à l'heure actuelle comme je le devrais, c'est la faute au froid (il fait 11 degrés dans mon bureau), à la solitude et à la paresse, laquelle est née en 1859, c'est-à-dire un an avant moi. Néanmoins, je compte me mettre à la pièce après le 20 février, et l'avoir finie pour le 20 mars. Dans ma tête, elle est déjà toute prête. Elle s'appelle La Cerisaie, en quatre actes, au premier acte, on voit des cerisiers en fleur par la fenêtre, un jardin entièrement blanc. Et des dames en robe blanche. Bref, Vichnevski va beaucoup rire ­ et, bien sûr, sans savoir pourquoi.
Il neige...


Tchekhov : lettre à Stanislavski du 5 février 1903
(trad. A. Markowicz et F. Morvan, in La Cerisaie, Actes Sud, col. Babel, 2002, pp. 138)

L'extrême précision ­ qui fait que tout est dans tout et peut résonner ­ est ce qui rend Tchekhov difficile à traduire, difficile à jouer, l'interprétation étant, de quelque façon qu'on l'envisage, obligée de se fier aux indices qui laissent déceler le réseau sous-jacent. Signifiant par opposition ou complémentarité, chaque détail offre une perception du même par l'autre et de l'ensemble par la distorsion légère qui ouvre un jour où tout se laisse entrevoir à neuf : ainsi la bougie allumée dans la blancheur d'avant-aube, et l'attente, la tension exprimées par cette blancheur d'un printemps froid avant l'aube, tout se correspondant avec une rigueur de peinture chinoise. Ce n'est pas seulement un art chinois par les thèmes mais aussi par la manière de faire. On voit dans la correspondance que Tchekhov pense à la pièce pendant trois ans, prenant des notes, saisissant des phrases, mais sans rien fixer, laissant le travail se faire et se bornant à différer, jusqu'au moment de se placer, comme le peintre chinois, devant la plage blanche et de tracer en quelques traits précis, aussi rapidement que possible, une oeuvre dont l'essentiel sera la manière d'agencer le vide et de lui donner sa force de plénitude. [...] Prévu pour durer un mois, le travail s'allonge du printemps à l'automne, comme l'action de la pièce elle-même. Bien qu'il ne se plaigne jamais de la maladie, Tchekhov sait bien qu'il est en train de mourir, et peut-être est-ce sa mort qu'il met en scène, comme on a pu le dire, mais il ne déplore rien que la lenteur, et seulement parce qu'elle risque de l'amener à gâcher : alourdir le trait, perdre le rythme, perdre cette cohérence de peinture chinoise qui fait que tout est juste qui vient porté par l'élan.

C'est aussi ce que dit la lettre à Stanislavski, résumant la pièce en donnant d'abord la blancheur pour clé. Une fois le thème de la blancheur posé, aussi essentiel que le chant proche et lointain de l'oiseau qu'on ne nomme jamais, tout se constitue dans la continuité ­ les fleurs, les robes, l'avant-aube et la bougie allumée dans la blancheur du petit jour, les paroles blanches, la fatigue, et le papier peint de la chambre des enfants, la chambre blanche et la chambre mauve, la pureté, l'enfance enfermée dans la brume ensoleillée de la Cerisaie, avec ses arbres blancs qui sont des fantômes, ces arbres qui sont des femmes, arbres splendides, et stériles, voués à ne jamais porter de fruits : le gel, la gelée blanche, les cerises de toute façon infructueuses, les gants blancs de Firs pour servir le café ­ le blanc couleur de deuil en Chine, le demi-deuil du mauve, et cela pris sous le ciel étincelant d'un printemps froid.

La blancheur désignée sous toutes ses variables possibles mène toujours à percevoir la vie dans son enfance de mort, légèrement raidie, empesée, légère comme les étoffes ou les fleurs de cerisier. Et c'est la plénitude saturée, mousseuse, euphorique du blanc qui montre d'avance, silencieusement, par le simple contraste, la maison creuse, et vouée au vide.

 

 

Françoise Morvan
Autour de La Cerisaie
(postface à La Cerisaie, trad. A. Marcowicz et F. Morvan,
Actes Sud, coll. Babel, 2002, p. 193-194)

 

 

A l'Odéon, la Cerisaie a été jouée :

- en décembre 1944, conjointement avec L'Ours, farce en un acte de Tchekhov, mise en scène de Paul Abram (traduction Denis Roche), en pleine guerre.

- en mars 1960, mise en scène de Jean-Louis Barrault, avec Jean Desailly, Judith Magre, Jean Paredès, André Brunot, Madeleine Renaud, Pierre Bertin, Simone Valère (traduction Georges Neveux). Reprise en septembre 1963.

- en septembre-octobre 1976, Giorgio Strehler présente sa mise en scène (Piccolo teatro de Milan), alors que l'Odéon est la seconde salle de la Comédie-Française.

- en février 1987, le Théâtre de l'Europe présente la mise en scène d'Anatoli Efros (Théâtre de la Taganka de Moscou).

- en avril 1994, l'Odéon a présenté la mise en scène de Lev Dodine (Théâtre Maly de Saint-Petersbourg), dans le cadre de sa saison russe.