Le théâtre a pénétré mon enfance comme un fantôme. C’était le « Théâtre du petit monde » à la salle Pleyel qui rassemblait les enfants le jeudi. C’était le Châtelet, temple des opérettes à grand spectacle, des machines, des scènes tournantes, des vrais chevaux aussi beaux que les faux, où les Valses de France succédaient aux Valses de Vienne. C’était Mogador, où l’on voyait dans Violettes impériales les conjurés se réunir au cabaret du Poux-qui-pète et le carrosse de Napoléon III exploser sur la scène lors de l’attentat d’Orsini. C’était l’Odéon, où l’on jouait La Dame de Monsoreau de Dumas et Maquet et où j’entends encore un employé âgé dire à une ouvreuse qui ne l’était pas moins : « Et dire qu’il y a des gens qui viennent ici pour rigoler. »
Le théâtre était aussi fait pour être lu : la comtesse de Ségur, auteur de Comédies et proverbes qu’on ne jouait plus, introduit aussi des dialogues de théâtre dans ses romans, par une audace égale à celle de Joyce dans le chapitre « Circé » de son Ulysse.
Et surtout le théâtre était joué. Je découpais des guignols dans les cartons des robes livrées à ma mère. Je faisais jouer des pièces satiriques à mon petit frère. Chez les Jésuites, j’interprétais en classe de 5e une pièce en latin écrite par mon professeur, dont le premier mot de salut, « vale », « porte-toi bien », m’a fait comprendre que le théâtre, malgré les difficultés de la vie, était le lieu où l’on se portait bien.
C’est sans doute à cause de ces souvenirs lointains qu’en 1993, il y a vingt ans déjà, j’ai éprouvé le besoin de lancer la collection Folio théâtre, pour que vive le théâtre sur les planches et dans les livres.
Jean-Yves Tadié
Jean-Yves Tadié dirige la collection Folio théâtre chez Gallimard, qui publie les plus grandes pièces classiques et contemporaines du répertoire français et étranger. Le texte intégral est précédé d’une préface et accompagné d’un appareil critique, présentant notamment l’histoire des mises en scène.