Dom Juan

de Molière
mise en scène Jean-François Sivadier



2h30

du 14 septembre au 04 novembre 2016 2016

Odéon 6e

avec Marc Arnaud, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Vincent Guédon, Lucie Valon, Marie Vialle

Quelle impression étrange, lorsque le travail d'une équipe réussit à donner le sentiment aux spectateurs qu'ils découvrent une pièce archiconnue pour la première fois ! Et ce, en premier lieu, grâce aux acteurs [...] qui jouent la pièce au présent, et non comme si la fin était courue d'avance. C'est élémentaire, mais si rare !

Anne Diatkine, Libération Next, 31 mars 2016

En Dom Juan, Nicolas Bouchaud est saisissant, impérial. Prestance de fauve, noirceur de l’œil, tout en miel et en arrogance, il cajole, fait rire, et terrifie. Lui donne la réplique un Sganarelle d'anthologie, Vincent Guédon, capable de toutes les intensités et de toutes les drôleries. Quand, après que son maître lui a dit n'avoir point l'âme ébranlée par le Commandeur, et qu'il s'écrie : "Ah ! quel homme ! quel homme !", on perçoit son effroi, son admiration, sa secrète envie, et avec lui on tremble. Le reste de la troupe est au diapason : un régal. (...) Ne le ratez pas !

Jean-Luc Porquet, Le Canard enchaîné, 20 avril 2016

Dans le sublime décor d'échafaudage céleste éclairé de lustres-planètes (...) alternent burlesque et gravité. Chaque scène est réglée comme un numéro de cirque, marqué d'une pointe noire de désespoir. Le metteur en scène mixe avec audace son théâtre de bois, de sable et de plumes avec des éclairages de concert-rock et des musiques de film. Dom Juan est "road-movie" ou série à épisodes serrés, et la fable n'en est que plus belle.

Philippe Chevilley, Les Échos, 29 mars 2016

Avec Tartuffe, note Jean-François Sivadier, Molière était «  allé trop loin » ; avec Dom Juan, il va plus loin encore. Par ce nouveau coup de folle audace, Molière invente sa version de l’un des derniers mythes qu’ait produits la littérature de l’Occident. Dom Juan, avec Hamlet, avec Faust, compte parmi les grandes figures inaugurales de la modernité. Il y entre à grands pas, marchant ferme sur ces «  deux jambes »  que sont « le  rire et l’effroi ».  Son siècle est celui qu’a ouvert Galilée, autre héros cher au metteur en scène. Désormais, la croyance n’est plus affaire de soumission à une autorité, spirituelle ou temporelle, mais de rationalité argumentée. L’existence n’a plus à se conformer aux commandements d’aucun Commandeur : elle est faite pour être explorée, par toutes les voies. À la crédulité superstitieuse, simple réflexe conditionné, se substitue la libre réflexion du libertin. Dom Juan s’y voue avec une insolence, un appétit, une allégresse extraordinaires. Et ce « tour du monde », dans cette pièce à rebondissements, capricieuse et romanesque, « ressemble surtout à un tour sur lui-même », à l’état des lieux d’un sujet résolu à « tenter d’épuiser le monde et de s’épuiser lui-même pour se sentir vivant ».  Improvisateur romanesque et sauvage, le Dom Juan de Nicolas Bouchaud, fidèle compagnon théâtral de Sivadier, saccage tout sur sa route, toutes les convenances éthiques et esthétiques. Les lois sont des liens, mais qui ne ligotent que leurs victimes consentantes. Dom Juan ne s’engage qu’au dégagement, à la variation indéfinie, au voyage sans limites et sans retour (il est significatif que la seule fois qu’il tient parole, il cause sa perte sur une poignée de main). Tant pis pour les autres.

Dom Juan viole, Dom Juan séduit. Il fuit, il combat. Lâche, brave, subtil, brutal voire criminel, peu lui importe. Il ne craint rien, et surtout pas la contradiction ni même le ridicule. Il lui suffit d’être soi et fidèle à soi. L’hypocrisie, qu’il découvre en fin de parcours, n’est qu’une arme de plus dans sa panoplie. Pourquoi donc devrait-il être sincère envers quiconque ? Tout devoir n’est qu’une dette, et Dom Juan ne s’en reconnaît aucune. C’est l’éternelle illusion des pères que de croire que leurs fils leur doivent le jour ; c’est la sempiternelle naïveté des créanciers qui les persuade que leurs débiteurs sont tenus de les rembourser ; c’est l’immortelle bêtise des valets que d’espérer de leurs maîtres qu’ils leur régleront leurs gages avant que le rideau ne tombe. Et que dire des pauvres épouses qui se fient aux belles promesses de leurs maris ?

Jongleur, joueur, acteur, Dom Juan selon Sivadier est un «  corps offert comme un espace de projection à toutes les interprétations ». Un peu clown aussi, car « la comédie commence toujours dans la rencontre malheureuse de la théorie et de la pratique ». Faisant de la scène « une arène » où jouer ses tours avant sa mise à mort, Dom Juan serait insaisissable s’il n’y avait la statue du Commandeur au bout de sa route. Mais il n’est même pas sûr que « le  convive de pierre »  maîtrise tout à fait ce diable d’homme. Car le feu de la damnation consume Dom Juan, mais n’efface pas les paroles qu’il a prononcées... Et la machine infernale qu’est le théâtre de « la bande à Sivadier » est là pour en attiser les flammes – au présent, soir après soir.