Le Petit Chaperon rouge

de Joël Pommerat d’après le conte populaire
mise en scène Joël Pommerat
du 24 novembre 2010 au 26 décembre 2010
Ateliers Berthier



avec Ludovic Molière, Isabelle Rivoal et en alternance Saadia Bentaïeb, Murielle Martinelli, Valérie Vinci

Ma mère et moi, on s’entend bien mais des fois c’est vrai j’ai un petit peu de mal à la supporter,
elle s’inquiète de tout, alors elle en devient vraiment pénible, elle me prend pour une enfant.

Joël Pommerat

La présente adaptation, d’une simplicité lumineuse – un narrateur déroule le fil du conte entrecoupé de quelques dialogues – a connu depuis sa création en 2004 un énorme succès. Pour traverser cette histoire comme le fait Pommerat, outre l’Homme qui raconte, deux chaises et cinq figures suffisent.
Il y a la Petite fille, qui s’ennuie souvent chez elle. Il y a la Maman, qui n’a pas toujours le temps de jouer avec elle, bien que sa fille lui ait offert un peu de ce temps dont elle-même ne sait que faire – mais «sa mère ne s’était même pas rendu compte du cadeau», allant et venant sans même jeter un coup d’oeil à son enfant, sauf quand il s’agit de jouer à lui faire peur. Il y a la Grand-mère, souvent malade, qui parfois ne répond pas aux questions qu’on lui pose sur le passé. Trois femmes, trois âges de la vie, qui ne se comprennent pas toujours et semblent se chercher à leur insu. Trois façons d’être seule, clairement dessinées dans l’espace d’une scène dépouillée – le désœuvrement de l’enfant unique, l’affairement de la femme solitaire, le deuil ou l’isolement de la vieillesse. La trame se tisse autour de vides sous-entendus, rendus sensibles sans appuyer, comme par frôlement : la Petite fille n’a ni frère ni sœur, la Mère n’a pas de conjoint, la  Grand-mère doit être veuve. Dans la tension qui naît entre ces trois façons de se tenir dans l’existence viennent se glisser des êtres qui vont aider à passer ou à tuer le temps : d’abord l’Ombre et puis, bien sûr, le Loup. L’Ombre danse avec la Jeune fille, joue avec elle qui s’est enfin inventé une compagnie. Elle est l’une des faces de la rencontre avec soi, quand on se hâte le long d’une route où l’on parle toute seule pour se donner du courage. Mais autre chose attend aussi, autrement redoutable que l’Ombre de notre propre liberté : un péril sans visage qui gronde en embuscade dans les ténèbres de la forêt ou des chambres obscures…
Les émotions, peur ou fascination parfois mêlés, que l’on ressent quand on est livré à soi-même, constituent selon Pommerat l’une des étapes fondatrices de notre vie à ses débuts : «affronter la peur, en tant qu’enfant, se confronter à elle, dans le sens d’un apprentissage ou d’un jeu, c’est travailler à ne plus être sclave de sa peur, dominé par elle, pour finalement oser aller vers l’inconnu, le possible danger, inhérent à toutes actions humaines et à toutes existences.» La gravité, la douceur, la puissance évocatoire de Pommerat, sa délicatesse aussi, ont fait de ce Petit Chaperon rouge qui finit bien l’un des plus beaux spectacles qui soient, pour les petits comme pour les grands – une légende de la scène à voir et à revoir encore.

 

 

à lire Le Petit Chaperon rouge de Joël Pommerat, Actes Sud – Papiers (coll. Heyoka Jeunesse), 2005