Marina Tsvetaeva
Dis-tance : des verstes, des milliers...
On nous a dis-persés, dé-liés,
Pour qu’on se tienne bien : trans-plantés
Sur la terre à deux extrémités.
Dis-tance : des verstes, des espaces...
On nous a dessoudés, déplacés,
Disjoint les bras — deux crucifixions,
Ne sachant que c’était la fusion
De talents et de tendons noués...
Non désaccordés : déshonorés,
Désordonnés...
Mur et trou de glaise.
Écartés on nous a, tels deux aigles —
Conjurés : des verstes, des espaces...
Non décomposés : dépaysés.
Aux gîtes perdus de la planète
Déposés — deux orphelins qu’on jette !
Quel mois de mars, non mais quelle date ?!
Nous a défaits, tel un jeu de cartes !
Marina Tsvetaeva, Vivre dans le feu – Confessions, 24 mars 1925 (éd. Robert Laffont, 2005)
Née en 1892 à Moscou , fille d’un professeur d’université, Marina Tsvetaeva commence à écrire dès l’âge de six ans. C’est en 1922 qu’elle part à l’étranger, afin de rejoindre son mari, ancien officier de l’armée blanche. Ils vivent d’abord à Berlin, puis à Prague, avant de s’installer à Paris. Ses rapports avec les écrivains russes en exil se détériorent et la pauvreté l’oppresse ; elle écrit beaucoup mais n’est pas ou peu publiée. Après s’être dressée contre le fascisme, elle rentre en Russie en 1939 mais l’Union des écrivains lui refuse son aide. Évacuée avec son fils à Elabuga, en République Tatare, elle s’y suicide par pendaison en août 1941.
Né en 1939 à Sofia en Bulgarie, Tzvetan Todorov est à la fois philosophe, sémiologue, linguiste et historien. Il obtient en 1963 un visa pour étudier en France et vit depuis à Paris. En 1968, il intègre le Centre de recherches sur les arts et le langage du CNRS, dont il deviendra directeur en 1987. Dans L’homme dépaysé (éditions du Seuil, 1998), il livre ses réflexions d’homme «arraché» à son milieu, déraciné, et interroge cet espace singulier à la fois dedans et dehors.