Il vivait sur lui-même, se nourrissait de sa propre substance, pareil à ces bêtes engourdies, tapies dans un trou, pendant l’hiver ; la solitude avait agi sur son cerveau, de même qu’un narcotique. Après l’avoir tout d’abord énervé et tendu, elle amenait une torpeur hantée de songeries vagues ; elle annihilait ses desseins, brisait ses volontés, guidait un défilé de rêves qu’il subissait, passivement, sans même essayer de s’y soustraire.
Le tas confus des lectures, des méditations artistiques, qu’il avait accumulées depuis son isolement, ainsi qu’un barrage pour arrêter le courant des anciens souvenirs, avait été brusquement emporté, et le flot s’ébranlait, culbutant le présent, l’avenir, noyant tout sous la nappe du passé, emplissant son esprit d’une immense étendue de tristesse sur laquelle nageaient, semblables à de ridicules épaves, des épisodes sans intérêt de son existence, des riens absurdes.
À rebours, extrait
Rencontre animée par Daniel Loayza
Née en 1967, Maylis de Kerangal est romancière.
Corniche Kennedy, Naissance d’un pont – Prix Médicis et prix Franz Hessel 2010, Tangente vers l’est – Prix Landerneau 2012, Réparer les vivants – Grand prix RTL/Lire 2014 et prix du Roman des étudiants France Culture/Télérama 2014
Infos pratiques
Mallarmé et Huysmans
Dans À rebours, Des Esseintes hume « avec joie » les poèmes de Mallarmé. Une lettre de Stéphane Mallarmé à Joris-Karl Huysmans du 12 mai 1883 montre que le poète a suivi la genèse de l’œuvre. Après la parution du livre, Mallarmé félicite Huysmans dans une lettre du 18 mai 1884 : «Le voici ce livre unique qui devait être fait». Pour remercier Huysmans, il publie dans La Revue indépendante de janvier 1885 son poème Prose pour des Esseintes.
> Musée Mallarmé
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« 50 ans, 1000 titres au catalogue, des centaines de milliers de lecteurs – et un seul mot d’ordre : l’amour des classiques !
Parce que chacun de nous, sur les bancs de l’école ou bien plus tard, a fait l’expérience d’une lecture qui a changé sa vie, nous avons invité pour fêter avec vous les cinquante ans de la collection, six écrivains à nous parler du classique sans lequel ils ne seraient peut-être pas devenus ce
qu’ils sont...»
Charlotte von Essen
en partenariat avec Flammarion, dans le cadre des 50 ans de la GF
avec le soutien de BibliObs