L’ivresse ne s’improvise pas. Elle relève de l’art, qui exige don et souci. Boire au hasard ne mène nulle part...
J’étais une romancière de trente ans qui débarquait à Paris. Les libraires m’invitaient à dédicacer chez eux, je ne refusais jamais. Les gens affluaient pour me voir, je les accueillais avec le sourire. «Elle est gentille», disait-on.
En vérité je pratiquais une chasse passive. Proie des curieux, je les regardais tous en me demandant ce que chacun vaudrait comme compagnon de beuverie. Prédation combien hasardeuse, car enfin, à quel signe détecte-t-on un tel individu ? Déjà, le mot «compagnon» n’allait pas, qui a pour étymologie le partage du pain. Il me fallait un convignon ou une convigne. Certains libraires avaient l’heureuse initiative de me servir du vin, parfois même du champagne, ce qui me permettait de jauger dans l’œil des gens l’étincelle du désir. J’aimais que l’on ait pour mon verre un regard de convoitise, pourvu qu’il ne fut pas trop appuyé.
Amélie Nothomb, Pétronille, Albin Michel, 2014
En présence d'Amélie Nothomb
Entretien mené par Jean Birnbaum
Lecture par Amira Casar
«La France est pour moi l’exotisme absolu ; on dira jamais assez à quel point je ne suis pas française.»
Fille de diplomate belge, Amélie Nothomb est né en 1967 à Kobé, au Japon. Depuis 1992 et Hygiène de l’assassin, son premier roman, tous les livres d’Amélie Nothomb ont été publiés en France aux éditions Albin Michel. Elle a reçu, entre autres, le prix Chardonne, le Grand prix du roman de l’Académie française, le prix de Flore, et le Grand prix Jean Giono pour l’ensemble de son œuvre qui est traduite dans quarante langues, des USA au Japon.
Infos pratiques
Dans son livre intitulé Les Femmes ou les silences de l’histoire (Flammarion, 1998), l’historienne Michelle Perrot montre que l’inégalité des sexes se traduit non seulement par le partage inégal des tâches au quotidien, mais aussi par la distribution inégale des traces dans l’histoire. Pour résumer cet état de fait, Michelle Perrot a spontanément recours à l’image de la scène : «Au Théâtre de la mémoire, les femmes sont ombre légère», et c’est à la lumière de la littérature qu’il est possible de remettre à l’honneur leurs mots étouffés.
Telle est aussi la conviction du cycle Voix de femmes, qui donnera encore à entendre, cette année et pour sa deuxième saison, des voix d’écrivaines, femmes de lettres et d’idées. Chacune de ces soirées se déroule de la même manière, de façon à ménager les échos sensibles, les effets de résonance : d’abord, une grande comédienne porte les mots de l’auteure invitée, en lisant des extraits d’une œuvre adaptée pour la radio ou le théâtre ; ensuite, l’auteure s’entretient avec Jean Birnbaum. Entre mots proclamés et écriture scénique, textes relancés et réflexions partagées, on verra que sur le plateau de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, les femmes sont tout autre chose qu’une «ombre légère» : une présence éclairante.