La fonction du théâtre
est de rendre au public la responsabilité
de l'argumentation morale.
Howard Barker


Étonnant, détonnant, déroutant : Howard Barker, l'«aboyeur» du théâtre anglais (Mike Sens), ne se laisse guère raconter, et c'est tant mieux. Sa liberté créative n'a d'égale que celle qu'il prétend laisser ou restituer à ses spectateurs,car il vise à «s'adresser à l'âme là où elle entend sa propre différence». Pour Barker, la tâche propre du théâtre ne consiste surtout pas à répéter ou corriger ce qu'est le monde. Mais pas davantage à nous en distraire ou à nous réconcilier avec lui. Ni message, ni compensation, ni consolation ; ni didactisme, ni divertissement. L'art selon Barker est un irritant. Libre de toute censure, il s'ouvre à «la pensée qui n'est pas autorisée» et à «l'inconscient qui a été aboli». Loin de résoudre des problèmes, il en réveille que l'on croyait à tort réglés, il en suscite que l'on n'aurait pas soupçonnés. Et il le fait dans une langue à nulle autre pareille - drue et urgente, somptueusement imprévisible, d'une vivacité colorée et amère qui en fait l'un des grands poètes de l'anglais contemporain. Sous l'effet de ce théâtre convulsif, la logique du réel et celle des rêves se superposent ou interfèrent, le temps se précipite ou se suspend, les époques se télescopent.
L'oeuvre de Barker, forte de près d'une soixantaine de titres, est d'une inventivité foisonnante - ce ne sera pas trop de quatre pièces pour tenter d'en suggérer la diversité. Des rafales d'ironie ou de lyrisme traversent les dialogues sans crier gare, criblant une scène où rien n'est jamais sûr ni personne à l'abri. Théâtre de la Catastrophe, dit Barker ; théâtre du grand retour de la Tragédie. Théâtre qui met d'abord en oeuvre, à même le corps des acteurs, des processus qui sont autant de questions adressées au réel, au risque de subvertir nos certitudes trop confortables et de nous infliger «ces dégâts subtils causés à une vie bien construite». Théâtre qui réclame de son public qu'il devienne le sujet d'une expérience aiguë, parfois douloureuse ou difficile (mais quelle expérience digne de ce nom ne l'est pas ?), dont les acteurs seraient les laborantins : celle de la poésie. Car «c'est seulement au moyen de la poésie que l'on peut rendre la mélancolie supportable, et seul l'acteur poétique peut accompagner le spectateur dans sa douleur. Cette douleur est une nécessité. Le Théâtre de la Catastrophe n'est pas le réconfort d'un monde cruel, mais la cruauté du monde rendue manifeste pour apparaître comme - beauté».


à lire Howard Barker : Arguments pour un théâtre, Les Solitaires Intempestifs, 2006
Howard Barker, dossier spécial coordonné par Mike Sens, Alternatives Théâtrales 57, 1998
Howard Barker et le Théâtre de la Catastrophe, collectif sous la direction d'Elisabeth Angel-Perez, éditions Théâtrales, 2006