Die bitteren Tränen der Petra von Kant
[Les Larmes amères de Petra von Kant]
de Rainer Werner Fassbinder
mise en scène Martin Kušej
1h55
avec Bibiana Beglau, Sophie von Kessel, Elisa Plüss, Elisabeth Schwarz, Michaela Steiger, Andrea Wenzl
Sur le point de basculer.
«Crois-moi, confie Petra von Kant à son amie Sidonie von Grasenabb, je suis heureuse d’avoir vécu ce qui s’est passé comme cela s’est passé. Ce que tu as appris, personne ne peut te le reprendre. Au contraire, ça te mûrit.» Lorsque Petra, si élégante, si distinguée, raconte comment son mariage avec Franck a fini par un lamentable naufrage, sans doute précipité par son succès comme créatrice de mode, elle paraît tout à fait apaisée, tout entière concentrée sur ses prochains objectifs professionnels. Sa mère lui emprunte de l’argent ; sa fille est pensionnaire dans un établissement renommé ; la fidèle Marlène veille silencieusement sur les travaux et les besoins de sa maîtresse. Tout semble en ordre. Rien ne laisse présager que dans un quart d’heure à peine, une bombe va exploser dans cette existence apparemment si pleine – une bombe qui s’ignore, et qui a nom Karine... Cinq actes comme cinq fragments significatifs prélevés dans la vie d’une femme, cinq flashes dramatiques suffisent à Fassbinder pour nous faire traverser les convulsions d’une passion folle, suicidaire et peut-être libératrice. L’histoire est directe, brutale, comme taillée à la serpe par un auteur de vingt-cinq ans. Fassbinder écrit sa pièce au milieu exact de sa courte carrière théâtrale. Quatre ans plus tôt, il a rejoint le Théâtre Action ; quatre ans plus tard, en juin 1975, il démissionne du Theater am Turm de Stuttgart pour se consacrer exclusivement à sa carrière de réalisateur (qui le verra créer, avec Maria Braun, Lili Marleen ou Veronika Voss, certains des plus beaux personnages de femme du cinéma). Entretemps ce bourreau de travail entièrement immergé dans sa troupe a déjà commencé à porter ses propres scénarios à l’écran, tirant lui-même en 1972, l’année même de l’écriture de sa pièce, un film tourné en onze jours où il offre à la jeune Hanna Schygulla, qui joue Karine, l’un de ses premiers rôles marquants. Incarner de telles passions, dans ce monde où les hommes brillent par leur absence, est réservé à des comédiennes physiques, puissantes, prêtes à s’engager totalement.
Une fois encore, Martin Kusej (prix Faust 2012 pour cette mise en scène) a réuni une superbe distribution, avant de lâcher ses interprètes comme autant de fauves dans un dispositif quadrifontal pareil à une cage de verre, qui magnifie encore la violence trash et somptueuse de cette histoire d’un grand amour désespéré.