Avec
Samira Elagoz, Ayumi Matsuda, Tashi Iwaoka

« LISEZ-MOI ! Je suis une fille de 24 ans qui réalise un court-métrage documentaire. […] Le concept, c’est que je vous rencontre chez vous et je filme comment nous faisons connaissance. » Pour tenter de reprendre le contrôle de sa sexualité, après avoir subi un viol, Samira Elagoz va au contact d’inconnus. Des hommes rencontrés en ligne, sur divers sites ou applications de rencontres (Tinder, Craigslist, Chatroulette). À chaque fois la même petite annonce, le même protocole. L’artiste démultiplie les entrevues, décline les profils, mettant son propre corps en jeu, afin de recueillir les fantasmes de ses partenaires. Comme une soudaine prise de recul Cock, Cock… Who’s There? se situe après cette longue recherche : face aux images, Elagoz examine, à nos côtés, l’ensemble des mécanismes qui régissent le désir hétérosexuel.

Générique

distribution
Something Great

avec le soutien de The Finnish Cultural FoundationBlooom Award and SNDO

cinq dates

2013 La première fois que j’ai tenu un appareil photo, tout a changé. Issue d’une formation technique en danse et ayant observé beaucoup d’« artistes talentueux », je m’en suis lassée, ainsi que de l’idée de former des gens pour qu’ils deviennent ce que je voulais qu’ils soient. J’ai préféré choisir des personnes, leur permettre d’être elles-mêmes, et les capturer, à travers ma relation avec elles. Puis j’ai rencontré ce gars, « l’Ukrainien » sur Internet. Je suis allée chez lui et j’y suis restée deux nuits. On a filmé notre rencontre. Les images étaient brutes, dangereuses et très chaudes. Je n’avais jamais ressenti une telle adrénaline. Cette rencontre a été le point de départ de tout ce que j’ai fait par la suite : rencontrer des inconnus et filmer nos rencontres.

2015 Je suis allée à une rétrospective d’un célèbre photographe cisgenre à New York. En parcourant l’exposition, je n’arrêtais pas de penser que c’était dommage que, au cours de sa vie, il ait rencontré tant de femmes et pourtant il les a toutes photographiées de la même manière. Je me souviens avoir décidé à ce moment-là : quand j’aurai ma rétrospective, les gens pourront voir la vie que j’ai vécue avec mes sujets/collaborateurs.

2020 L’année où j’ai commencé ma transition et où mon projet Seek Bromance a vu le jour. Avant le Covid, j’avais passé quatre ans à tourner à l’international avec mon travail sur mon viol et ma vie en tant que femme. La pandémie a brusquement mis fin à cette époque. J’ai commencé un traitement hormonal au début du confinement. Je venais d’atterrir à Los Angeles pour travailler avec mon collaborateur. On a passé la plupart des premiers mois de Covid dans le désert, loin de toute civilisation. On avait le sentiment d’être proche de la fin du monde. Comme si on était les deux dernières personnes restantes sur une planète dont toute vie avait disparu. Dans ce contexte, on ne pouvait pas être infecté par le monde, mais seulement l’un par l’autre. Lors du montage, un ami m’a fait remarquer que ça ressemblait à une allégorie trans : le désert comme départ de l’imagination, le corps comme un monde sur le point d’être réécrit.

2022 Le Lion d’argent à la Biennale de Venise. Ce fut un moment marquant dans ma carrière, une immense reconnaissance d’un travail qui a souvent évolué à la frontière de ce que le monde de l’art est prêt à voir. Ma pratique aborde des sujets encore rarement évoqués, comme l’impact du viol sur la sexualité ou la transmasculinité présentée en dehors des récits conformistes. Être reconnu dans un contexte aussi conservateur sur le plan historique n’est pas seulement une réussite personnelle, mais aussi un profond changement culturel. Vivre à une époque où les oeuvres transgenres peuvent être reconnues de cette manière représente une avancée indispensable.

2022 Il m’est arrivé de tomber amoureux à plusieurs reprises devant la caméra. Mon travail a toujours été une collection d’histoires d’amour et de vie. Mais tomber amoureux de mon collaborateur, le photographe Z Walsh, a été différent. On s’est rencontré à Berlin, quand Z est venu en Europe. On a passé sept heures dans un bar, à partager un whisky Sour et à parler sans interruption jusqu’à ce qu’on s’embrasse. C’était la première fois que je rencontrais quelqu’un qui m’intéressait et que je me suis dit : « Peut-être que je ne devrais pas le filmer celui-là. » Peut-être qu’il était temps de rencontrer quelqu’un hors caméra. Mais Z a commencé à me prendre en photo. 
C’était la première fois que je travaillais avec quelqu’un qui avait autant envie de me filmer que j’avais envie de le filmer. Ce projet est devenu le plus court jamais réalisé, mais aussi l’un des plus émouvants.