Il a travaillé avec Chéreau, Langhoff, Engel. Il a incarné Faust, le roi Lear, et même Heidegger. Il a joué En attendant Godot (sous la direction de Luc Bondy) ou La Dernière bande. Serge Merlin est, tout simplement, un comédien hors pair, et l´un des grands interprètes de Beckett. S´il s´accorde à son écriture, entre et se perd comme personne dans l´intelligence de ses rythmes, cela tient à la façon dont poésie et pensée, chez lui, s´entendent dès le grain de la voix. Pour le public de l´Odéon, Merlin a accepté de revenir à un petit livre extraordinaire, trop peu connu, dont il a déjà donné lecture sur d´autres scènes ou à France-Culture : Le Dépeupleur.
Il s´agit d´une espèce de traité cosmographique ou ethnographique en 55 courtes pages aussi é nigmatiques que claires - car il faut y insister : ce texte-là n´a rien d´ardu ni de rébarbatif ; au premier abord, il se laisse écouter avec autant d´agrément et de simplicité qu´une conférence ou qu´une relation de voyage. Ses premières lignes sont semblables à l´énoncé lapidaire d´un problème ou du protocole expérimental que se proposerait à soi-même un démiurge sans nom : " Séjour où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toute fuite soit vaine." Les quinze paragraphes qui suivent constituent l´achèvement de ce projet, c´est-à-dire aussi bien son épuisement : le matériel de départ, "corps" et "séjour", est décrit (ou é crit) de telle sorte que soient satisfaites les conditions initiales. Forme, âge, nombre des " corps" sont indiqués ; leur position, leurs éventuels mouvements, leur attitude à l´égard de la recherche permettent de les classer. Nous apprenons quelles règles, relevant à la fois de la physique des solides et de l´éthologie, président à leurs déplacements. Quant au "séjour", ses dimensions, sa géométrie et sa topologie garantissent effectivement la vanité de la recherche comme de la fuite. Ainsi, le projet s´accomplit implacablement, dans toutes les dimensions qu´introduisent les énoncés initiaux. A ceci près qu´y figure également un terme inédit dans notre langue, qui ne sera jamais repris ni expliqué nulle part, alors même qu´il fournit le titre de l´ouvrage. Qu´est-ce donc que le dépeupleur ? Un exterminateur ? Un "être" qui "manque" et par qui "tout est dépeuplé"? Ou l´ouvrage de ce nom, par qui et en qui s´épuisent ces corps qui nous sont peut-être semblables, occupés à chercher l´impossible issue ?
Générique
de SAMUEL BECKETT
par SERGE MERLIN - lecture
production : Odéon-Théâtre de l´Europe, Scène Indépendante Contemporaine (S.I.C.)