Richard III

de William Shakespeare
mise en scène Thomas Ostermeier



2h30

du 21 au 29 juin 2017 2017

Odéon 6e

avec Thomas Bading, Robert Beyer, Lars Eidinger, Christoph Gawenda, Moritz Gottwald, Jenny König, Laurenz Laufenberg, Eva Meckbach, David Ruland
et le musicien Thomas Witte

Revoici Richard. Celui que joue Lars Eidinger, entré en 2015 dans la légende d’Avignon. Pour son cinquième Shakespeare, Thomas Ostermeier tenait à cet interprète hors pair. Le rôle en exige un, car la séduction du sinistre Duc de Gloucester est pour le moins paradoxale. Corps contrefait, âme démoniaque, pourquoi donc ce monstre continue-t-il à fasciner le public depuis plus de quatre siècles, et comment y parviendrait-il aussi bien sans un acteur exceptionnel pour l’incarner ?

Richard, duc de Gloucester, est le premier grand maître de la mise en scène de soi que le théâtre ait produit. Ou du moins le premier personnage moderne à se mettre soi-même au monde théâtralement. Avant même d’être roi, il est un merveilleux comédien et un superbe scénariste, doté de l’instinct d’un grand fauve et de l’intelligence calculatrice d’un fin lecteur de Machiavel. Et il se veut fils de ses œuvres. Richard est en effet persuadé que les jeux auxquels jouent les autres hommes lui sont à jamais interdits, depuis sa naissance. Perdu pour perdu, il a donc décidé de jouer de ce qu’il est. Lui qui est moins que tout, presque une bête, va se hisser au-dessus de tous, sur un monceau de cadavres, et veut se faire connaître ainsi : en n’étant plus qu’une succession de masques, dont il jongle en virtuose, de la fureur d’un musicien rock à la mélancolie d’un être qui se souvient d’avoir été Hamlet.

L’identité de Richard, s’il en a une, est affaire de prothèses : fils d’araignée où se pendre, micros, caméras. La couronne même n’est peut-être qu’une prothèse de plus. Cette identité-vampire, il la construit devant nous, voire parmi nous, comme une machine sanglante, en nous prenant à témoin. Et ce faisant, lui qui refuse tout miroir finit par devenir un peu le nôtre. Miroir déformant, bien sûr, pareil à celui du rêve. Parfois certains désirs y surgissent qu’on ne peut regarder en face sans que leurs traits ne soient d’abord déformés. Mais sont-ils vraiment si méconnaissables ? Le Richard d’Eidinger et d’Ostermeier est là pour nous le demander : «  N’avez-vous jamais eu envie de faire ce que fait Richard ? N’avez-vous jamais eu envie de commettre des actes répréhensibles ? » De voir le corps nu d’un frère, agité de soubresauts, se vider de son sang sur le sable d’un cachot ? De traiter deux petits enfants comme des marionnettes bonnes à briser, et de s’en amuser? Nous nous récrions devant ces « actions que les contraintes sociales et morales, heureusement, empêchent », ajoute aussitôt le metteur en scène. Mais l’art de Shakespeare nous les rend pensables, nous fait sentir la pente qui mène à ces abîmes. Comment comprendre la troublante séduction du mal à moins d’y aller voir nous-mêmes – et en nous-mêmes, afin de mieux nous construire et nous comprendre, grâce à cette surpuissante prothèse collective qu’est le théâtre ?  Nous nous y retrouvons, conclut le directeur de la Schaubühne, « dans un espace libre où la catharsis est possible, ou l’on peut jouer avec nos instincts les plus sombres pour, peut-être, nous purifier, nous libérer ».