Nina Berberova
Je suis libre de vivre où et comme je veux, de lire, de penser ce que je veux, d’écouter qui je veux. Je suis libre dans les rues des grandes villes lorsque, perdue dans la foule, je déambule sans but sous une pluie battante en marmonnant des vers, quand je me promène en forêt ou au bord de la mer dans une solitude bienheureuse, bercée par ma musique intérieure, quand je referme derrière moi la porte de ma chambre. Je choisis mes amis. Je suis heureuse que les énigmes de ma jeunesse aient été élucidées. Je ne fais jamais semblant d’être plus intelligente, plus belle, plus jeune, ni meilleure que je ne suis. Je vis au milieu d’un invraisemblable et indescriptible foisonnement de questions et de réponses et pour être tout à fait franche, les malheurs de mon siècle m’ont plutôt servi : la révolution m’a libérée, l’exil m’a trempée, la guerre m’a projetée dans un autre monde.
Nina Berberova, C’est moi qui souligne (éd. Actes Sud, 1993)
Née en 1901 d’un père arménien et d’une mère russe, Nina Berberova grandit à Saint-Pétersbourg dans le milieu de la bourgeoisie libérale. Dès son enfance, elle écrit des poèmes. En raison des répressions systématiques contre l’intelligentsia russe, elle quitte la Russie en 1922 pour rejoindre son compagnon, le poète Khodassevitch. Le couple vit dans plusieurs villes européennes dont Berlin, avant de s’installer à Paris en 1925. La précarité due à son passeport d’apatride mais aussi la perte de «nourriture intellectuelle» la pousse à émigrer aux états-Unis en 1950. Elle y demeurera jusqu’à sa mort, survenue à Philadelphie en septembre 1993. Son œuvre est publiée en France par Actes Sud.
Né à Krasnoïarsk en Sibérie en 1957 de parents disparus probablement déportés, Andreï Makine passe son enfance et son adolescence dans un orphelinat sibérien. Boursier, il rédige une thèse sur la littérature française contemporaine à l’Université de Moscou et à trente ans il s’installe à Paris. Il obtient le prix Goncourt et le prix Médicis ex æquo pour son roman Le testament français (Mercure de France) en 1995. Le Goncourt lui vaut la nationalité française préalablement refusée.