Va, petit livre, j’y consens, va sans moi dans cette ville où, hélas ! il ne m’est point permis d’aller, à moi qui suis ton père ; va, mais sans ornements, comme il convient au fils de l’exilé ; et malheureux, adopte les insignes du malheur. Que le vaciet ne te farde point de sa teinture de pourpre ; cette couleur n’est pas la couleur du deuil ; que le vermillon ne donne pas de lustre à ton titre, ni l’huile de cèdre à tes feuillets. Qu’on ne voie point de blanches pommettes se détacher sur tes pages noires ; cet appareil peut orner des livres heureux, mais toi, tu ne dois pas oublier ma misère ; que ta double surface ne soit point polie par la tendre pierre-ponce ; présente-toi hérissé de poils épars çà et là, et ne sois pas honteux de quelques tâches : celui qui les verra y reconnaîtra l’effet de mes larmes. Va,mon livre, et salue demapart les lieux qui me sont chers ; j’y pénétrerai ainsi par la seule voie qui me reste ouverte.



Ovide, Les Tristes – livre premier, élégie I –, in «œuvres complètes», éd. J. J. Dubochet et Cie, 1838



Rencontre littéraire animée par Paula Jacques



Ovide (Publius Ovidius Naso) – né en 43 av. J.-C. à Sulmone (Italie) – est très tôt intéressé par la poésie, mais il étudie le droit à Rome et exerce le métier d’avocat pour contenter son père, après avoir voyagé en Grèce et en Sicile. Il publie en 15 av. J.-C. Les Amours (Amores), un recueil de poèmes, et Les Héroïdes, un recueil de lettres écrites en vers par des héroïnes de la mythologie et destinées à leurs amants. Il écrit ensuite Les Métamorphoses, un poème de 230 fables (15 livres) qui racontent les transformations d’êtres humains en plantes, minéraux, animaux. En 8 ap. J.-C., il est contraint à l’exil, à Tomes (actuelle Roumanie), par Auguste (peut-être à cause de la légèreté de son Ars amatoria, un manuel de séduction), où il meurt en 17 ou 18 ap. J.-C. Malgré la mort d’Auguste en 14, Ovide n’est pas rappelé à Rome. Il écrit Tristes Pontiques, recueil de lettres élégiaques adressées à sa femme et à ses amis.