En présence de Jean-Louis Backès
Textes lus par Marie Dompnier. Traduction de Jean Grosjean
L’image d’Antigone exilée, qui court les routes pour guider son vieux père aveugle, apparaît dans d’autres pièces de Sophocle. Dans celle-ci, l’héroïne ne quitte pas sa ville. Mais le motif de la patrie, partout présent, se lie plus qu’ailleurs à la vision de l’exil. Étéocle et Polynice doivent régner en alternance. Polynice s’en va. Quand vient son tour, il se heurte à un refus ; son frère ne respecte pas le contrat. Polynice ne peut pas revenir dans sa ville. Il ne supporte pas de devoir vivre à l’étranger. Il organise l’expédition impie contre sa propre cité. Les deux frères se tuent réciproquement. Créon, leur oncle, qui leur succède, fait enterrer l’un et refuse à l’autre, à l’exilé, toute sépulture. Les significations de ce geste téméraire sont nombreuses et diverses ; il en est une qui compte : on refuse à Polynice le lieu auquel il a droit. Il lui faudra errer à jamais ; il n’entrera pas au pays des morts. Ce pays est une autre patrie ; on y retrouve le père et la mère. Pour Antigone, quitter la vie n’est pas un exil.
Jean-Louis Backès
Infos pratiques
Le théâtre a pénétré mon enfance comme un fantôme. C’était le « Théâtre du petit monde » à la salle Pleyel qui rassemblait les enfants le jeudi. C’était le Châtelet, temple des opérettes à grand spectacle, des machines, des scènes tournantes, des vrais chevaux aussi beaux que les faux, où les Valses de France succédaient aux Valses de Vienne. C’était Mogador, où l’on voyait dans Violettes impériales les conjurés se réunir au cabaret du Poux-qui-pète et le carrosse de Napoléon III exploser sur la scène lors de l’attentat d’Orsini. C’était l’Odéon, où l’on jouait La Dame de Monsoreau de Dumas et Maquet et où j’entends encore un employé âgé dire à une ouvreuse qui ne l’était pas moins : « Et dire qu’il y a des gens qui viennent ici pour rigoler. »
Le théâtre était aussi fait pour être lu : la comtesse de Ségur, auteur de Comédies et proverbes qu’on ne jouait plus, introduit aussi des dialogues de théâtre dans ses romans, par une audace égale à celle de Joyce dans le chapitre « Circé » de son Ulysse.
Et surtout le théâtre était joué. Je découpais des guignols dans les cartons des robes livrées à ma mère. Je faisais jouer des pièces satiriques à mon petit frère. Chez les Jésuites, j’interprétais en classe de 5e une pièce en latin écrite par mon professeur, dont le premier mot de salut, « vale », « porte-toi bien », m’a fait comprendre que le théâtre, malgré les difficultés de la vie, était le lieu où l’on se portait bien.
C’est sans doute à cause de ces souvenirs lointains qu’en 1993, il y a vingt ans déjà, j’ai éprouvé le besoin de lancer la collection Folio théâtre, pour que vive le théâtre sur les planches et dans les livres.
Jean-Yves Tadié
Jean-Yves Tadié dirige la collection Folio théâtre chez Gallimard, qui publie les plus grandes pièces classiques et contemporaines du répertoire français et étranger. Le texte intégral est précédé d’une préface et accompagné d’un appareil critique, présentant notamment l’histoire des mises en scène.